IIIe Tableau

1560 - Celse Morin, le Mouton noir


Antoine Vidal, sous-prieur de Contamine et un sénateur de Savoie parlent du prieur, Celse Morin
Sénateur (S) - Mon Père, j'ai relu la lettre que m'envoyâtes l'an dernier pour dénoncer votre prieur, Celse Morin.
Antoine Vidal (AV) -Vous êtes-vous assuré de sa personne ?
S : Non, il a vendu sa maison de Chambéry et s'est enfui en France. Cela n'empêchera pas le Sénat de Savoie de statuer sur son sort. Mais reprenons l'affaire. Quand avez-vous vu Celse Morin pour la première fois ?
AV : En 1551, quand il devint prieur de Contamine. Depuis années, j'occupais la charge de sous prieur et je dirigeais le prieuré en l'absence du prieur. Une lettre me prévint de l'arrivée de cet "homme se disant ecclésiastique" ; heureusement, car lorsque Celse Morin parvint à Contamine, j'eus bien du mal à y reconnaître un homme d'Eglise ! En grand équipage, l'épée au côté, suivi d'une femme qu'il semblait connaître très intimement.
Tel était ce "prieur intrus" !
S : Je serais tenté de dire qu'il n'est pas le premier homme d'Eglise à se conduire de la sorte, faut-il vraiment s'en émouvoir ?

AV : Il jette l'opprobre sur notre ordre et sur notre règle. Nous sommes des bénédictins : la règle de Saint Benoît de Nursie partage notre vie entre le travail manuel et l'office divin, en mettant un accent particulier sur la discipline, l'abnégation et l'ascèse. Or un paillard comme Celse Morin n'a jamais appliqué aucune de ces règles. Songez que le vendredi, en son logis de Genève, il s'empiffre de viande !

S : La conduite de Celse Morin est-elle connue de vos supérieurs clunisiens ?

AV : La Bourgogne est bien loin de notre Savoie et se trouve en terre étrangère.

Le scandale dure depuis trop longtemps. La justice séculière doit venir à bout de ce soi-disant homme d'Eglise.

A part cela, dès la fondation de Cluny, les moines pratiquaient l'hospitalité et l'aumône. Là encore, Celse Morin fut oublieux de tous ses devoirs.

S : Si fait, votre lettre fait mention des aumônes. Pourriez-vous m'en entretenir ?

AV : L'aumône a été mise en place dès l'entrée du Prieuré de Contamine sous la dépendance de Cluny. L'aumône est destinée aux pauvres, aux enfants et aux femmes accouchées. Le matin des jours de fête, la cloche sonnait pour attirer les enfants ; ceux qui se présentaient recevaient du pain, du fromage, des fèves cuites. Les femmes avaient droit à une mesure de froment, à 42 pots de vin blanc et à une petite somme d'argent.

Notre Celse Morin tenait si grand équipage que ses besoins d'argent étaient énormes ; il détourna l'aumône à son profit. Grand chasseur, il alla jusqu'à entretenir une meute. Il fallait bien nourrir tous ces chiens.

Cela portait un grave préjudice aux familles les plus pauvres, les Puthod, les Vouthier, les Dunant, les Jaloux et bien d'autres, la liste en serait trop longue.

S : Revenons à Celse Morin, que savez-vous de lui ?

AV : Nous ne savons pas au juste où il naquit, à Chambéry ou à Autun. Ni à quelle date, si ce n'est au début du siècle. Il fit des études de droit et de théologie. Dans chacun de ces domaines, il se montra habile à tricher.

Quand il était au Parlement de Chambéry, il fut accusé de faux et de malversations.

S : Je vous arrête, le Parlement de Dijon l'a reconnu innocent.

AV : Oui, mais on ne prête qu'aux riches : sa conduite l'a fait disgracier aux yeux de tous. Et sa plus grande faute, la voici : depuis que Saint Pierre fonda l'Eglise, il a été décidé que les clercs fissent vœu de célibat, afin de faire sentir leur supériorité sur leurs ouailles. Celse Morin a pris femme, il a même pris la femme d'un autre, l'épouse du baron Louis des Clefs, qui depuis est dans un tel état de fureur que ses serviteurs n'osent même plus l'approcher.

Celse Morin affiche cette paillarde, qui a l'air contente de son sort, malgré le scandale.

Suite à l'enlèvement de cette femme, Celse Morin, rejeté par les sénateurs de Chambéry, vint à Contamine.

S : La fréquentation des lieux saints n'a pas amélioré sa tenue ?

AV : Bien au contraire ! Je vous ai déjà dit qu'il détournait les sommes de l'aumône. Il dit la messe en faisant asseoir la baronne sur son siège présidial, en lui installant le coussin où est posé le missel, pour qu'elle soit plus à son aise. Il porte les armes, bien que cela nous soit interdit, il n'observe pas les lois du carême et alla même jusqu'à profaner les autels.

Cet homme sans honneur n'a pas sa place à Contamine.

L'ange du temps a vu tant de scandales et d'impostures dans l'histoire des hommes que sur son visage apparaît un certain sourire, empreint de résignation.

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